sexta-feira, 26 de outubro de 2012

Li Na et l’Empereur

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Il y a très longtemps, dans la lointaine Chine, une vieille femme vivait sur un petit bateau amarré sur le fleuve Jaune. Elle s’appelait Li Na, et elle était calligraphe.
Li Na avait travaillé toute sa vie pour atteindre la perfection dans son art. Beaucoup de gens savent écrire. Mais seul un artiste parvient, par quelques traits sur le papier, à exprimer la vérité d’une chose.
En ce temps-là, vivait aussi dans la capitale de la Chine un empereur. Il habitait un palais immense, dont l’entrée était interdite aux gens ordinaires. Il était très riche, très puissant et très, très cruel. Même sa femme et ses enfants le craignaient.
Tout le monde, au contraire, aimait la vieille calligraphe. De toutes parts on venait admirer ses créations. « Écris-nous le signe de l’amour ! » lui demandait-on. Ou bien : « Nous voudrions offrir à notre mère un idéogramme qui lui rende sa gaieté ! » Alors Li Na trempait son pinceau dans l’encre noire et, avec des gestes élégants, traçait sur le papier l’idéogramme de l’amour, ou celui de la joie, ou celui du bonheur. Et tous s’en retournaient heureux et comblés.
Bonheur, joie, amour, amitié, pardon, tout cela Li Na l’avait ressenti de tout son être et pouvait l’exprimer dans un idéogramme. Mais parfois, il fallait à la vieille calligraphe des jours, ou des semaines, pour atteindre le sens profond d’un signe. Pour traduire la vérité d’une fleur, Li Na avait dû devenir elle-même une fleur. Éprouver ce que ressent une fleur lorsque la rosée se dépose sur les feuilles, lorsque s’ouvre lentement la corolle. Et lorsque, enfin, la fleur fane et perd ses pétales. Li Na maîtrisait son art à la perfection.
Li Na avait une élève, San Li, qui vivait avec elle sur le bateau. San Li savait déjà quel papier convenait le mieux pour tracer un idéogramme. Elle savait aussi préparer l’encre et avait reçu ses premières leçons de calligraphie.
Preto de ouros (cartas)Preto de ouros (cartas)Preto de ouros (cartas)Preto de ouros (cartas)
Un matin, une grande agitation vint troubler les abords du fleuve Jaune.
L’empereur approchait de l’endroit où était amarré le bateau de la calligraphe. Cent guerriers précédaient le palanquin incrusté d’or, cent guerriers le suivaient, et cent guerriers encore le protégeaient de chaque côté.
L’empereur fit arrêter les porteurs devant le bateau de Li Na. Un serviteur appela la vieille femme :
― L’empereur t’ordonne de tracer pour lui un idéogramme. Il doit exprimer la grandeur de son empire, sa richesse infinie et sa puissance inébranlable !
Li Na poussa la porte branlante de son bateau et s’avança. Cachée derrière le montant de la porte, San Li tenta d’apercevoir l’empereur. Mais les rideaux tissés d’argent du palanquin le protégeaient des regards. Sa voix était puissante et sonore.
― Combien de temps te faudra-t-il ? demanda-t-il d’un ton impérieux qui fit trembler de peur San Li.
― Il me faudra le temps de comprendre la nature de votre puissance ! répondit la vieille calligraphe d’une voix ferme.
San Li admira le sang-froid de son professeur.
― Qu’un serviteur vienne dans une semaine chercher la calligraphie.
L’empereur frappa trois fois du pommeau de sa canne la paroi du palanquin, et, aussitôt, porteurs et guerriers se mirent en mouvement.
Les habitants, emplis de crainte, s’étaient cachés dans leurs maisons ou leurs bateaux. L’empereur sortait fort peu souvent de son palais, et rares étaient ceux qui l’avaient vu de leurs propres yeux. Comme le palanquin resplendissait ! Comme les guerriers semblaient invincibles ! Ils portaient les armes, sûrs de leur puissance, et le sol tremblait encore de leurs pas.
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Depuis la visite de l’empereur, la vieille calligraphe était plongée dans un profond silence. Elle n’avait adressé la parole à personne, pas même à San Li. Assise sur le pont du bateau, elle réfléchissait. Comment pouvait-elle mesurer la grandeur de l’empire, elle qui jamais n’avait pénétré dans le palais impérial ? Comment pouvait-elle imaginer l’immensité des richesses de l’empereur, elle qui ne possédait rien ? Comment pouvait-elle comprendre sa puissance, elle qui jamais n’avait donné d’ordre ?
Lorsque le soleil se coucha sur le fleuve Jaune, Li Na était toujours assise au même endroit. Perdue dans ses pensées, elle fixait le fleuve.
Elle ne réagit pas lorsque San Li apporta un bol de riz et du thé parfumé. La tête penchée en avant, la vieille calligraphe s’était assoupie, et la lune faisait briller des reflets d’argent dans ses cheveux.
Une semaine s’écoula, et un serviteur du palais vint réclamer la calligraphie.
Désolée, la vieille dame secoua la tête :
― Je regrette, mais je ne peux répondre à la commande de l’empereur. Je n’ai jamais pénétré dans le palais impérial, je ne sais rien des cérémonies de la cour. Empire et puissance sont pour moi des mots étrangers. Peux-tu me rapporter un objet du palais ? Quelque chose que l’empereur touche chaque jour.
Le serviteur le promit. Une semaine plus tard, il apporta un riche tapis et un gobelet en or. Comme Li Na n’était pas visible, il les remit à son élève. Tremblante, San Li prit les précieux objets.
― Porte-les à ton professeur ! l’exhorta le serviteur de l’empereur. Mais prends garde de les souiller ou, pis, de les abîmer. L’empereur vous jetterait aussitôt en prison, toutes les deux !
Incapable d’articuler un mot, San Li hocha la tête.
― Je reviens dans une semaine ! Que la calligraphie soit alors achevée !
De nouveau, une semaine s’écoula, et le serviteur revint trouver la calligraphe.
― Je ne parviens pas à traduire sur le papier la puissance de l’empereur, dit la vieille dame d’une voix tremblante. Apporte-moi une épée ou une autre arme avec laquelle l’empereur fait sentir son pouvoir à ses ennemis.
― Je vais voir ce que je peux faire ! répondit le serviteur, et il s’éloigna sur son haut cheval.
Quelques jours plus tard, il réapparut avec une lourde épée.
Li Na était assise, immobile et silencieuse. San Li découpait des feuilles de papier. Mais point de calligraphie, pas même une esquisse.
― Combien de temps te faut-il encore ? demanda le serviteur.
Comme la vieille dame ne répondait pas, il se tourna vers son élève :
― Quand la calligraphie sera-t-elle terminée ? L’empereur s’impatiente.
San Li haussa les épaules.
― Je ne sais pas, dit-elle timidement.
Le serviteur laissa s’écouler trois mois avant de reparaître sur la rive du fleuve Jaune. Cette fois, la vieille calligraphe allait enfin livrer son travail, pensait-il. Mais il se trompait.
― Li Na demande qu’on ne la dérange en aucun cas, lui annonça San Li. Reviens dans un mois, et tu pourras emporter la calligraphie de l’empereur.
L’homme fut saisi de peur. Quand l’empereur apprendrait que la calligraphie n’était pas terminée, il l’en rendrait responsable, à coup sûr.
― Pourquoi cela dure-t-il si longtemps ? demanda-t-il à la fillette.
― Li Na doit d’abord comprendre la puissance de l’empereur avant de prendre le pinceau.
San Li baissa les yeux.
― La commande de l’empereur exige quelque chose de bien différent de tout ce que Li Na a peint jusqu’à présent, poursuivit-elle à voix basse.
Le serviteur hocha la tête pour montrer qu’il comprenait. Mais l’empereur, lui, comprendrait-il ? L’empereur ne comprit pas. Lorsqu’il vit le serviteur revenir les mains vides, il le fit jeter aussitôt en prison. On osait s’opposer à ses ordres ! Eh bien, il irait lui-même trouver la vieille calligraphe au bord du fleuve. Il irait lui-même chercher ce qui lui appartenait.
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Vêtu avec magnificence, l’empereur se mit en route avec tout son équipage. En voyant les soldats s’approcher de la rive, les habitants s’enfuirent dans leurs embarcations. San Li aussi se cacha, terrorisée, dans la cuisine, lorsque le palanquin de l’empereur s’arrêta devant le bateau de la calligraphe. Accompagné de quatre gardes, l’empereur pénétra en personne dans l’habitation de Li Na.
― Où est la calligraphie que je t’ai ordonné de peindre ?
Li Na s’approcha. À la main, elle tenait un grand pinceau, d’où gouttait l’encre. Devant elle, était étendu un rouleau de papier. Sans un mot, sans un regard à l’empereur, elle se pencha et, en quelques gestes précis, traça sur le papier le signe de la puissance.
Saisi d’effroi, l’empereur fit un pas en arrière.
Ses gardes tirèrent leurs épées pour le protéger. Le signe de la puissance était violent et cruel, menaçant et hostile, dur et glacial. On aurait dit que toute la pièce était sous son emprise. Les gardes reculèrent en tremblant. L’empereur lui-même pâlit. Mais il s’efforça de ne pas montrer qu’il était impressionné.
― Pourquoi m’as-tu fait attendre des mois pour achever maintenant, en quelques secondes, la calligraphie ? demanda l’empereur, courroucé.
― Il m’a fallu ce temps avant de comprendre votre puissance, répondit la vieille calligraphe d’une voix douce, mais ferme.
Elle rangea le pinceau et regarda l’empereur droit dans les yeux. Puis elle prit son sceau et l’imprima sur le papier de riz, juste à côté de son œuvre. Des minutes s’écoulèrent dans un grand silence. L’encre sécha. Li Na fit signe à deux gardes de soulever le rouleau. Sans attendre l’autorisation de l’empereur, ils firent ce que la vieille femme leur avait demandé.
L’empereur comprit alors qu’elle avait percé la nature de sa puissance. Il s’empressa de rouler le papier de riz, et se fit transporter en son palais.
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Là, il se retira aussitôt dans ses appartements privés et ordonna que personne ne le dérange, pas même les ministres, pas même son épouse ni ses enfants. Il déroula devant lui, sur le sol, la calligraphie de la vieille Li Na et se mit à la contempler. Il sentit un grand froid s’insinuer dans son corps. Sa gorge était comme étranglée. C’était cela, le froid glacé de la peur. La poignée d’acier de la crainte. Le goût amer de la cruauté. Le pouvoir de la cupidité et de la violence.
Un silence de mort régnait sur le palais. Après une très longue attente, le premier garde de l’empereur s’approcha, hésitant, de la porte de l’appartement privé.
― Sa Majesté ne se sent pas bien ? demanda-t-il timidement.
Comme aucune réponse ne parvenait, le garde ouvrit prudemment la porte.
L’empereur fixait le sol, à l’endroit où était déroulée la calligraphie de Li Na. Et l’empereur de Chine pleurait ! Pas de sanglots, pas de gémissements, nul son ne franchissait ses lèvres. Les larmes roulaient silencieusement sur son visage.
― Est-ce cela le pouvoir de l’empereur ? Angoisse et peur ? Suis-je vraiment si cruel ? chuchotait-il.
Il aperçut le garde.
D’un mouvement lent, infiniment lent, l’homme hocha la tête.
― Oui, Votre Majesté est cruelle.
Il avait parlé d’une voix ferme, en regardant l’empereur. L’empereur détourna les yeux de la calligraphie et fixa, médusé, son serviteur. Il dressa le poing, menaçant, en direction du garde. Tremblant de colère, il ouvrit la bouche. Mais il baissa le bras. Sans mot dire, il regarda le sol et se mit à pleurer.
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Sur le bateau amarré sur le fleuve Jaune, la vieille calligraphe rangeait son matériel. Papier et pinceau, pierre à encre et sceau, tout retrouva sa place habituelle. Pour finir, Li Na étendit au sol le précieux tapis de l’empereur, posa le gobelet sur une étagère et déposa dans un coin l’épée incrustée de pierres précieuses. Elle souriait.
Le matin, le serviteur du palais était venu encore une fois.
― L’empereur te donne ces objets pour prix de ton travail, avait-il expliqué.
― Tu es allé en prison ? avait demandé San Li, curieuse.
L’homme avait hoché la tête.
― Sa Majesté a libéré tous ceux qu’elle avait injustement emprisonnés. Depuis que la calligraphie de Li Na est accrochée dans son palais, l’empereur est devenu un autre homme.
Lorsque le serviteur fut parti, Li Na appela son élève.
― Petite San Li, dit-elle d’une voix douce, veux-tu apprendre le signe de la vérité ?
La fillette la regarda avec de grands yeux.
― Oh oui, j’aimerais bien l’apprendre ! répondit-elle avec enthousiasme.
Bien excitée, elle regarda la main de Li Na qui, calmement, prenait le grand pinceau.
Andrea Liebers
Li Na et l’Empereur
Toulouse, Milan, 2002

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