Un jour, il n’y a
pas très longtemps, apparut dans le ciel un objet brillant comme une grosse
étoile. Cet objet descendit lentement vers la terre. Au crépuscule il était
comme un soleil rouge au-dessus des arbres. Une longue chevelure de feu traînait
derrière lui : c’était une comète. Cette comète, traversant la nuit, incendia
le pays. L’aube se leva sur une terre en cendres peuplée d’arbres noirs, et le
peuple connut la misère.
Dans ce pays, en ce temps-là,
vivait un homme qu’on appelait le Veilleur, car ses yeux étaient toujours
grands ouverts, toujours émerveillés. Il avait l’air d’être perpétuellement
étonné d’être vivant. Quand vint la misère, lui seul, dans son village ravagé,
refusa de désespérer.
— Il faut vivre, et vivre, et
vivre, disait-il aux moribonds.
Mais comment leur redonner
force et courage ?
Il s’en alla un beau matin
demander conseil à un vieil aveugle qui vivait seul, dans une grotte de la
montagne. Au crépuscule le voici devant lui. L’homme vénérable dit ceci :
— Celui qui parviendra à pêcher la perle d’émeraude
cachée au fond du lac le plus profond des montagnes de Jade, celui-là pourra
aider les hommes. Mais les montagnes de Jade sont très lointaines, la route est
dangereuse, et la perle d’émeraude est gardée par une énorme araignée noire qui
a tendu sa toile sur l’eau du lac.
Le Veilleur écoute, les yeux écarquillés. Le vieil
aveugle se gratte la barbe et dit encore :
— Celui qui veut atteindre l’émeraude doit d’abord
passer par le plateau des fleurs vénéneuses pour y conquérir l’aiguillon d’or
de la reine des guêpes. Car cet aiguillon est la seule arme capable de tuer
l’araignée noire.
Le Veilleur n’y réfléchit pas
longtemps. Avant même que l’aveugle ait
fini de hocher la tête, il est parti à la conquête de la perle d’émeraude.
Il marche de longues semaines. Un jour, traversant
une forêt profonde, il entend un grand cri dans le feuillage. Une plume noire
tombe sur son visage. Il lève la tête et voit une bataille d’oiseaux : un
épervier plante son bec crochu dans la gorge d’un corbeau qui se débat sans
espoir. Le Veilleur lance son bâton à travers les branches. L’épervier s’envole
dans un grand froissement d’ailes. Le blessé descend, lentement, se pose sur
l’épaule de l’homme qui entend alors ces mots
dans
sa tête : « Si tu as besoin de moi, un jour, appelle. Je viendrai. » Il se
retourne vivement, le corbeau a disparu.
Le Veilleur poursuit son
chemin difficile. À grand-peine il sort de la forêt et découvre à l’horizon une
haute montagne, dont le sommet est plat comme une table. À travers les
broussailles, les buissons épineux, il grimpe trois jours et trois nuits. Il
parvient enfin au sommet, les vêtements en lambeaux, les pieds et les mains en
sang. Un champ de fleurs vénéneuses, nocturnes et rouges, s’étend devant lui,
sous le soleil pâle. Au milieu du plateau se dresse un arbre mort. Sur la plus
haute branche il aperçoit un magnifique nid de guêpes. « Comment l’atteindre,
se dit le Veilleur. C’est maintenant que le corbeau me serait utile. » À peine a-t-il pensé ces mots qu’une nuée noire
apparaît à l’horizon. Des milliers de corbeaux viennent à lui. Ils se mettent à
tourbillonner autour de l’arbre mort, si vite qu’ils font dans le ciel une
immense roue noire. Au centre de cette roue noire les guêpes affolées sont comme une
poussière dorée.
Le Veilleur, debout dans les
fleurs rouges, regarde et s’émerveille. Un corbeau, enfin, vient se poser sur
son épaule. Il tient dans son bec un aiguillon d’or. L’homme le prend,
délicatement, et le contemple. Quand il relève la tête, les oiseaux déjà
s’éloignent dans le ciel. La nuée de guêpes part à la dérive parmi les fleurs.
Le Veilleur s’en va.
Il parvient à la montagne de
Jade après neuf jours et neuf nuits de marche. Il franchit des précipices,
escalade des rocs vertigineux. Le voici au sommet, au bord du lac. À la surface
tout à coup bouillonnante apparaît une gigantesque araignée noire. Ses gros
yeux bombés, impassibles, regardent le Veilleur. Ses longues pattes maigres,
velues, se posent en grinçant sur la rive. Des rochers s’écroulent dans l’eau,
en avalanche. Le Veilleur tient fort, dans sa main, l’aiguillon d’or de la
reine des guêpes. La gueule du monstre se dresse lentement vers lui. De toutes
ses forces, il enfonce son arme étincelante dans l’oeil énorme. L’araignée noire, prise d’épouvantables convulsions,
recule, dégringole à flanc de montagne, se déchire parmi les rochers, disparaît
au fond d’un précipice.
Alors le Veilleur plonge dans
le lac. Il descend infiniment dans l’eau glacée. Au fond, il voit briller enfin
la perle d’émeraude. Il la saisit. Il la met dans sa bouche. Il remonte au
soleil. Il tombe sur le rivage, à bout de forces. Il s’endort.
Quand il se réveille, il se
dresse sur la montagne et s’en va. Les rocs tremblent sous ses pieds. Il est
devenu un géant. De sa bouche jaillissent des sources. Dans l’empreinte de ses pas poussent des prairies et
des champs de blé sous la caresse de sa main. Il est maintenant un de ces
grands vivants bienfaisants qui aident la Terre à vivre.
Henri Gougaud
L’Arbre à Soleils
Paris, Ed. du Seuil, 1979
Paris, Ed. du Seuil, 1979
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