Conte écologique populaire
adapté d’une histoire du Rajasthan, Inde
Il y a bien longtemps en Inde, quand les princes de la
guerre régnaient sur le pays, vivait une jeune fille qui aimait les arbres.
Elle s’appelait Amrita.
Amrita vivait dans un pauvre village aux maisons de boue
séchée, en bordure d’un grand désert. Tout près du village s’élevait une forêt.
Chaque jour Amrita
courait vers la forêt, sa longue natte dansant dans son dos. Quand elle
retrouvait son arbre préféré, elle l’entourait de ses bras. « Mon cher arbre »,
s’écriait-elle, « tu es si grand et tes feuilles sont si vertes ! Comment
pourrions-nous vivre sans toi ? » Car Amrita savait que les arbres l’abritaient
du soleil brûlant du désert. Les arbres la protégeaient des terribles tempêtes
de sable. Et là où poussaient les arbres on trouvait l’eau, cette eau si
précieuse. Avant de quitter la forêt, Amrita embrassait son arbre préféré, puis
lui murmurait : « Arbre, si un jour tu as des ennuis, je te défendrai. »
L’arbre lui répondait
dans un bruissement de feuilles.
Un jour, juste avant
les pluies de la mousson, une énorme tempête de sable tourbillonna dans le
désert. En quelques instants, le ciel devint
aussi noir que la nuit. Des éclairs déchiraient le ciel et le vent fouettait
les arbres tandis qu’Amrita se précipitait chez elle. De sa maison, elle
entendait le sable qui venait cingler les volets. Après la tempête, il y eut du
sable partout – dans les vêtements d’Amrita, dans ses cheveux et même dans sa
nourriture. Mais elle était sauvée et son village aussi, grâce aux arbres qui
les avaient défendus au plus fort de la tempête.
Plus Amrita
grandissait, plus elle aimait les arbres. Bientôt, elle eut des enfants qu’elle
emmenait avec elle dans la forêt.
« Ils sont vos frères
et vos soeurs », leur disait-elle. « Ils nous abritent du soleil brûlant du
désert, nous protègent des terribles tempêtes de sable, et nous montrent où
trouver l’eau que nous buvons », leur expliquait-elle. Puis Amrita apprenait à ses enfants à aimer et à protéger
les arbres comme elle le faisait.
Chaque jour, quand elle
quittait la forêt, Amrita allait puiser de l’eau à la source du village. Elle
portait l’eau dans une grande cruche d’argile, posée en équilibre sur le dessus
de sa tête.
Un matin, près de la source, Amrita vit un groupe
d’hommes armés de lourdes haches. Ils se dirigeaient vers la forêt. Elle
entendit ces mots : « Abattez tous les arbres que vous rencontrerez »,
ordonnait le chef des bûcherons. « Le Maharajah a besoin de beaucoup de bois
pour construire sa nouvelle forteresse. »
Le Maharajah était un prince puissant qui régnait sur de
nombreux villages. Sa parole faisait loi. Amrita eut peur. « Les coupeurs
d’arbres détruiront notre forêt », pensa-t-elle. « Nous ne serons plus abrités
du soleil ni protégés des tempêtes de sable. Nous ne saurons plus comment
trouver l’eau dans le désert ! »
Amrita courut se
cacher dans la forêt. De sa cachette, elle entendait les coups de hache qui
fendaient ses arbres bien-aimés. Soudain, Amrita vit le chef des bûcherons
brandir le fer de sa hache vers son arbre préféré.
« Ne coupez pas cet
arbre ! » s’écria-t-elle en bondissant. Elle se mit devant son arbre. « Écarte-toi ! » gronda le bûcheron. « Je vous en prie,
laissez mon arbre, » supplia Amrita. « Coupez-moi plutôt ». Elle protégeait son arbre de
toutes ses forces, mais le bûcheron la poussa et brandit sa hache. Lui, il ne voyait que l’arbre qu’on lui avait demandé de
couper. Le bûcheron frappa encore et encore, jusqu’à ce que l’arbre d’Amrita
s’abatte sur le sol. Amrita tomba à genoux, les yeux remplis de larmes. Ses
bras étreignirent tendrement les branches mourantes de l’arbre.
Au village, quand ils surent ce qui venait de se passer,
hommes, femmes et enfants coururent vers la forêt. L’un après l’autre, ils se
placèrent devant les arbres pour les défendre. Chaque fois que les bûcherons
s’avançaient pour couper un arbre, les villageois se dressaient sur leur
chemin. « Le Maharajah le saura ! » menaça le chef des bûcherons. Mais le peuple
ne céda pas.
Le Maharajah entra dans une grande colère quand il vit
les bûcherons revenir les mains vides. « Où est le bois que je vous ai envoyés
couper ? » hurla-t-il.
« Votre Altesse, nous avons bien essayé de couper les
arbres pour votre forteresse, mais où que nous allions, les villageois les
entouraient de leurs bras pour nous en empêcher », répondit le chef des
bûcherons.
Le Maharajah fendit
l’air avec son épée. « Me désobéir coûtera
cher à ces défenseurs d’arbres ! » Il enfourcha son cheval le plus rapide et galopa vers
la forêt. À sa suite venaient de nombreux
soldats, montés sur des chameaux aux longues pattes et sur des éléphants aux
défenses ornées de pierres précieuses.
Le Maharajah trouva les habitants du village rassemblés
près de la source.
« Qui a osé défier mon ordre ? » demanda-t-il. Amrita
hésita un instant, puis elle s’avança.
« Oh, Grand Prince !
Nous ne pouvions laisser les bûcherons détruire notre forêt », dit-elle. « Ces
arbres nous abritent du soleil brûlant du désert. Ils nous protègent des
tempêtes de sable qui détruiraient nos récoltes et enseveliraient notre
village. Ils nous montrent où trouver l’eau,
si précieuse à boire. »
« Sans ces arbres, je ne puis construire une solide
forteresse ! » insista le Maharajah.
« Mais sans ces arbres, nous ne pouvons survivre »,
répliqua Amrita.
Le Maharajah lui lança un regard furieux.
« Coupez-les ! » hurla-t-il.
Les villageois se précipitèrent dans la forêt tandis que
les soldats faisaient briller leurs épées et se rapprochaient pas à pas. Le sable se mit alors
à tourbillonner autour de leurs pieds et les feuilles tremblèrent sur les
arbres. Au moment où les soldats atteignaient la forêt, le vent du désert
rugit, soulevant tant de sable qu’ils y voyaient à peine.
Pour échapper à la tempête, les soldats coururent se
mettre à l’abri des arbres. Amrita étreignit son arbre préféré, et les
villageois cachèrent leur visage quand le tonnerre éclata sur la forêt. Jamais
ils n’avaient affronté une telle tempête. Enfin, lorsque le vent s’apaisa, ils
sortirent lentement de la forêt.
Amrita ôta le sable de ses vêtements et regarda autour
d’elle. Des branches d’arbres brisées étaient éparpillées partout. Dans le champ, les
grains de blé jonchaient le sol. Le sable s’était amoncelé tout autour de la
source. Amrita comprit que seuls les arbres
avaient empêché le désert de détruire le village.
Le Maharajah se tenait près de la source et regardait
fixement la forêt. Il resta songeur un long moment, puis s’adressa aux
villageois.
« Vous avez prouvé votre courage et votre sagesse. Vos
arbres vous protègent, et désormais ils ne seront plus coupés. Votre forêt
restera à jamais un joyau de verdure dans le désert. »
Le peuple se réjouit aux paroles du Maharajah. Ils
chantèrent et dansèrent très tard dans la nuit, et illuminèrent le ciel de feux
d’artifice.
Dans la forêt, les enfants décorèrent les arbres de
fleurs et de guirlandes de papiers multicolores. Et pour ne pas oublier le
grand sacrifice de l’arbre d’Amrita, ils firent de l’endroit où il était tombé
un lieu sacré.
De nombreuses années se sont écoulées depuis ce jour-là,
mais on dit qu’Amrita vient toujours vénérer les arbres dans la forêt.
« Chers arbres, vous êtes si grands et vos feuilles sont
si vertes ! Comment vivre sans vous ? »
Amrita sait que les arbres abritent les hommes du soleil
brûlant du désert.
Les arbres protègent les hommes contre les terribles
tempêtes de sable du désert.
Les arbres montrent où trouver l’eau si précieuse.
Heureux et sages sont
les hommes qui vivent auprès d’eux.
Deborah Lee Rose
Le peuple qui aimait les arbres :
Conte écologique populaire
Deflandre, 1992
♣ Dans la légende d’origine, il y a
près de trois siècles, Amrita Devi et plusieurs centaines de villageois
donnèrent leur vie en protégeant leur forêt. Le gouvernement indien a commémoré
leur sacrifice en nommant le village Rajasthan de Khejare : « Premier Mémorial
National de l’Environnement » de l’Inde.
Aujourd’hui encore, le
peuple Indien lutte pour protéger son environnement. L’un des groupements qui
s’y consacre le plus est le Mouvement Chipko (« Aimez les arbres »), dont les
membres combattent sans violence l’abattage des arbres.
En 1987, le Mouvement
Chipko reçut la récompense « Right Livelihood » (l’autre Nobel), pour « leur
dévouement à la conservation, à la restauration et à l’usage écologique et
réfléchi des ressources naturelles de l’Inde ».
L’Équipe du Projet HISTOIRES À FAIRE
RÊVER
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