Quand je suis née, maman m’a
déposé dans une boîte en carton, une de ces boîtes où les gens gardent leurs
chaussures. Cette boîte était mon berceau, ma chambre, ma maison, les murs qui
amortissaient les sanglots de ma mère…
Quelques semaines après, maman
a dépensé toutes ses économies : elle a acheté un billet pour un voyage en
bateau. Un bateau qui nous emmènerait dans un pays où les petites filles ne
dorment pas dans des boîtes et où les mamans ne pleurent pas.
Nous sommes parties à l’aube… Deux jours après, le bateau a
été pris dans une tempête. Et puis il a coulé. Désespérée, maman a nagé jusqu’à
la côte, tirant derrière elle mon petit radeau en carton dont les murs
laissaient passer les cris de ceux qui ne savaient pas nager.
Nous sommes finalement
arrivées sur une plage déserte. Ma mère
et moi. Seules. La marée a emporté ma boîte en carton vers le large et rien
n’arrêtait les pleurs de ma mère. On avait l’espoir de retrouver quelqu’un, un
survivant de notre malheureuse traversée…
Nous avons dormi à la belle étoile jusqu’au jour où
nous avons trouvé une énorme caisse en carton. Cette caisse est devenue notre
lit, notre chambre, notre maison et les murs qui abritaient nos pleurs.
Maman et moi, nous avons appris à manger des racines :
n’importe où, le goût de la terre est toujours le même… Je ne sais pas pourquoi
mais cela nous réconfortait.
Toutes les nuits, nous voilà sur des lieux de décharge
à la recherche d’une pomme de terre ou d’une tomate.
Un jour, ma mère a reconnu une femme qui avait voyagé
dans le même bateau que nous. Elles se sont embrassées, elles ont pleuré, elles
se sont interrogées sur nos camarades de voyage… Et elles ont tristement secoué
leurs têtes…
Cette nuit-là, notre nouvelle amie,
Aihala, a installé sa caisse en carton près de la nôtre. Alors, en plus
d’abriter nos pleurs, ces caisses faisaient écho à nos rires. Bien que cela
puisse paraître impossible, nous savions encore sourire…
Plusieurs lunes se sont levées
et couchées. D’autres amies sont venues nous rejoindre, avec leurs caisses en
carton. Et, ensemble, nous nous sentions plus en sécurité, et même, heureuses.
Parce que, comme disait ma mère, « Les larmes coulent moins lorsqu’on partage
les peines. »
Un village en carton est donc
né autour de notre caisse en carton. Une
caisse pauvre mais gaie. Nous riions entre nous et nous souriions aux inconnus
qui, à leur tour, parfois, nous souriaient. Mais tous n’étaient pas aussi
aimables avec nous : des fois, on s’amusait à nous lancer du feu…
Puis, une nuit, que rien n’effacera de ma mémoire, le
feu s’est propagé dans notre village en carton et toutes les caisses ont brûlé.
Et rien n’a réussi à faire taire nos cris de douleur.
Je n’ai plus jamais revu ma mère. Ni Aihala. On m’a
emmenée dans un orphelinat et, après, on voulait que je retourne dans mon pays.
Mais, là-bas, personne ne me connaissait et, ici, personne ne semblait
connaître mon pays… Finalement, j’ai été
adoptée et, après quelque temps, j’ai recommencé à sourire. Malgré tous ces
malheurs…
À présent, je suis heureuse avec ma nouvelle maman. Je l’aime et elle
m’aime. Elle m’aime comme je suis.
Je vis dans une maison. J’ai ma chambre, une armoire. Dans cette armoire, il y a une
boîte en carton, une de ces boîtes où l’on garde les chaussures. Mais, dans ma boîte en carton, il n’y a pas de
chaussures ; seulement des souvenirs. Parce que je ne veux pas oublier. Je ne
veux pas oublier les pleurs de ma mère et, encore moins, son sourire…
Txabi Arnal
Caja de cartón
Pontevedra, OQO, 2010
(Traduction et adaptation)
Caja de cartón
Pontevedra, OQO, 2010
(Traduction et adaptation)