Miró
Miloko
 n’est qu’un enfant. Nu et pieds nus dans la rue. Venu de loin,  d’un de
 ces pays lointains, inscrit en lettres minuscules sur la mappemonde.  
Entre brouillard et pluie, il a débarqué une nuit de nulle part, les 
yeux pleins  de sommeil et de fatigue, avec d’autres enfants, avec 
d’autres Miloko qui se  sont aussitôt éparpillés aux quatre coins de la 
grande  ville.
Alors
 il a longé le caniveau, frôlant les façades aux volets fermés. Il  a 
suivi les lampadaires comme les marins suivent les étoiles. Il a marché 
 longtemps, jusqu’au petit jour, puis épuisé, s’est endormi sur la 
plage, bercé  par le ronronnement des vagues. Les cris des mouettes et 
des goélands l’ont  réveillé. Il a regardé les bateaux flâner 
nonchalamment sur la mer. Il avait  faim. Il a monté la grande avenue, 
celle des magasins. Invisible, transparent,  la foule l’ignorait. Miloko
 n’était qu’un enfant nu et pieds nus dans la  rue.
Un
 jour, au rond-point de l’autoroute, face à l’aéroport, près du  
supermarché, il a rencontré des gamins comme lui, des Miloko nus et 
pieds nus  qui l’ont adopté. Sous le pont de l’échangeur, abrité du vent
 et des  intempéries, Miloko, avec des cartons géants de frigos, des 
cartons énormes de  téléviseurs, des cartons immenses d’objets futiles 
et dérisoires, s’est bâti une  cabane fermée par un fil de fer, entre 
les cabanes de ses nouveaux  compagnons.
Ses
 copains lui avaient prêté une raclette, des chiffons, une bouteille  
avec de la lessive qui faisait des bulles multicolores dans les reflets 
du  soleil. Au rond-point du supermarché, Miloko attendait les voitures 
qui  stoppaient au feu tricolore. Du vert au rouge passant par l’orange,
 du rouge au  vert sans révérence, il levait les essuie-glaces, 
grattait, tirait, lavait les  vitres souillées de boue et de moucherons.
 Dans les voitures des cris, parfois  des injures ! Les conducteurs, 
lunettes fumées, remontaient les glaces,  détournaient le regard, 
accéléraient dès le passage autorisé, n’osant affronter  de face la 
vérité. Parfois, par la vitre entrebâillée, portières fermées,  loquets 
baissés, une main négligemment tendue jetait une pièce, une menue  
monnaie sur le bitume.
Miloko les remerciait, un bref éclair sur son  visage…
Au
 début du printemps, à l’aube, des camions bleus encerclèrent le  
village en papier. Personne n’eut le temps de fuir. Des hommes en 
uniformes, aux  casques argentés, rassemblèrent les enfants au centre du
 rond-point et les  comptèrent. Ils ont amené Miloko dans un grand 
immeuble, sur une colline, loin  de la ville. Derrière les hauts murs 
noirs, il ne distinguait ni la mer, ni  l’horizon. Des larmes inondèrent
 ses joues.
Alors
 il a pensé très fort à son village, dans ce pays lointain inscrit  en 
lettres minuscules sur la mappemonde. Il a gribouillé à sa mère  une 
cartepostale pleine de soleil,  de ciel  bleu, de promenades bordées de 
fleurs, de rues immenses et colorées… Il a  raconté que, face à 
l’aéroport, près du supermarché, sous le pont, il possédait  une cabane 
en carton…
Un
 matin, alors que la clarté se faufilait dans le parc, Miloko a sauté  
le grand mur. Nu et pieds nus, il a couru sans se retourner vers le 
rond-point  du supermarché et s’est caché tout au fond de sa cabane. Il 
est resté longtemps,  très longtemps, blotti dans son refuge, épiant le 
moindre bruit, sursautant aux  tintamarres des moteurs. Puis, peu à peu,
 il a entrebâillé sa porte et s’est  aventuré au dehors. 
Depuis,
 chaque nuit, il compte les camions qui arrivent de nulle part.  Entre 
brouillard et pluie, il scrute les ombres furtives qui se glissent dans 
 l’obscurité. Il guette celle de sa mère. Il aimerait qu’elle soit là, 
qu’elle le  serre si fort dans ses bras qu’il en perdrait le souffle…
Jean Siccardi; Joly Guth
Miloko
Draguignan, Lo Païs d’Enfance, 2004
(Adaptation)

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